Herman Edyangu, Ougandais, ordonné diacre dans le Patriarcat d’Alexandrie en 2018, est l’un des premiers clercs africains à avoir demandé à être reçu dans l’Église orthodoxe russe après la reconnaissance du schisme ukrainien par le patriarche Théodore II d’Alexandrie. Le 18 décembre 2022, il a été ordonné prêtre. Le père Herman devient ainsi le premier Africain ordonné prêtre dans la juridiction de l’Exarchat patriarcal d’Afrique. Il décrit les particularités de l’orthodoxie sur le continent africain dans une interview à RIA Novosti.
– Père Herman, que ressentez-vous en devenant le premier prêtre d’Afrique ordonné dans l’Église russe ?
– Je me sens béni, humble et très, très heureux ! Pour moi, c’est un nouveau pas en avant pour participer au développement spirituel de notre peuple, pour sauver plus d’âmes à l’avenir. Je suis plein d’espérance !
— L’Exarchat a déjà un an. Qu’a-t-il apporté de nouveau à la vie des paroisses en Afrique ? Comment vos usages liturgiques ont-ils évolué ?
— La liturgie russe comporte bien plus de détails que la grecque. Quand je regarde un office grec, je vois qu’un certain nombre de fragments en ont été retirés, que la liturgie a été raccourcie. La liturgie russe, elle, conserve tous les éléments qui existaient dans la liturgie dans le passé. Elle est plus longue, elle a plus de détails.
— En quelles langues célébrez-vous ?
— Nous utilisons nos langues natales. Personnellement, je célèbre en ateso, c’est la langue parlée dans notre partie du doyenné de Soroti. Mais dans le nord de l’Ouganda, on célèbre en atcholi, en lango, les langues des peuples autochtones de ces régions. Néanmoins, nous utilisons parfois aussi l’anglais, simplement pour mieux nous comprendre les uns les autres : par exemple, si des paroissiens qui ne parlent pas la langue locale viennent à l’office, nous passons à l’anglais.
— Vous êtes venu à l’Église russe depuis le Patriarcat d’Alexandrie. Pourquoi avez-vous décidé de la rejoindre ? Que saviez-vous de la Russie et de l’Église russe avant ce transfert ?
— J’ai été ordonné diacre dans l’Église d’Alexandrie en 2018. Quand le schisme a eu lieu, quand la prétendue « église orthodoxe d’Ukraine » a été reconnue, nous avons pris conscience que c’était contraire aux canons et que pour cette raison l’Église orthodoxe russe conservait son statut. Ayant déterminé ce fait, j’ai résolu que je suivrai la doctrine qu’elle prêche et j’ai exprimé le désir de la rejoindre. Depuis, j’ai suivi une formation dans l’Église orthodoxe russe, j’ai reçu le sacerdoce et j’en remercie Dieu.
— Mais qu’est-ce que vos paroissiens et les Ougandais en général savaient de l’Église russe ?
— Dans notre pays, les gens savent que l’Église orthodoxe russe est la plus répandue en Russie, qu’elle s’appuie sur les traditions du ministère liturgique, de la doctrine et de la foi qui perdurent depuis les temps apostoliques. Et il est important que ce savoir se répande. La plupart des gens auxquels s’adresse notre prédication voient positivement l’Église russe et acceptent volontiers son omophore, parce que ce qui les attire, c’est son conservatisme positif dans la tradition et le dogmatique.
— Comment vivent les paroisses ougandaises ? De quoi ont-elles besoin ? Transport, locaux pour la prière, eau, instruction ou quelque chose d’autre ?
— L’Afrique, c’est le tiers-monde, et elle a, bien sûr, besoin de beaucoup. Je commencerai par les problèmes auxquels sont confrontés des clercs comme moi, particulièrement en Ouganda. L’absence de moyens de transport est une sérieuse épreuve pour nous. Non seulement nous n’avons pas d’automobiles, mais pas de motos non plus. L’automobile permet de prendre la route même quand il pleut, alors que s’il faut aller célébrer des funérailles ou la liturgie, sans voiture, il faudra attendre la fin de la pluie. Pour l’Afrique, c’est un problème primordial, et n’importe quelle aide pour acquérir des moyens de transport pourrait nous servir.
Les paroissiens, les gens auxquels s’adressent notre ministère, sont confrontés aussi à de nombreux défis. L’un d’eux est le manque d’instruction de qualité. Le monde organise des programmes humanitaires d’instruction, mais ceux-ci ne font que favoriser l’augmentation du nombre de chômeurs. A mon avis, les peuples d’Afrique ont maintenant besoin de formations professionnelles techniques. C’est très important, parce qu’au moment où ils terminent les cours, les gens peuvent tout de suite travailler dans leur domaine, gagner de l’argent. J’essaie de convaincre les gens d’étudier pour devenir maçons, tailleurs, mécaniciens, charpentiers : ce sont des professions très honorables.
L’eau, l’accès à l’eau est un autre grand problème. Il y a peu de puits artésiens, dans de nombreux villages il n’y a que des puits ordinaires, et souvent l’eau n’y est pas potable, les gens tombent malades.
Nous manquons aussi d’établissements médicaux de qualité. Les maladies font rage, mais les hôpitaux sont généralement situés loin des villages et les médicaments y font souvent défaut. Par exemple, si l’on diagnostique une malaria, on enverra le malade acheter des médicaments dans des pharmacies privées. Donc nos villages et nos paroisses éprouvent un besoin aigü d’établissements médicaux.
— Selon vous, l’Église russe et vos coreligionnaires de Russie pourraient-ils aider à subvenir à ces besoins ? L’instruction russe, les spécialistes russes pourraient-ils aider ?
– Oui, parce que lorsque nous apprenons des gens des pays développés, comme la Russie, nous nous développons nous-mêmes. Je sais qu’ils sont bien formés et qu’ils peuvent fournir des services de qualité. L’Ouganda les attend les bras ouverts, c’est un pays qui a un bon climat, dont le peuple est remarquablement accueillant.
L’aide des croyants de Russie serait bien sûr très importante pour nous. Aussi bien sous la forme de collecte, que de la promotion par l’État de programmes de construction, d’hôpitaux, par exemple. S’il y avait au moins un hôpital au nord, au sud et à l’est du pays, la vie des gens s’améliorerait considérablement. Y compris la vie spirituelle : une personne en bonne santé a plus la possibilité de consacrer son temps à glorifier le Seigneur.
— Quels sont actuellement vos rapports avec les paroissiens qui sont restés dans le Patriarcat d’Alexandrie ?
— Au niveau des rapports personnels, au niveau du peuple, l’agressivité est minimale, elle n’existe presque pas. Car ce sont des gens qui vivent dans une même communauté, qui partagent tout ensemble, sauf la liturgie.
— Comment les structures du Patriarcat d’Alexandrie ont-elles réagi au fait que des clercs rejoignent l’Église russe ? Vous et ceux qui vous ont suivi ont-ils fait l’objet de menaces, de discriminations ou de violence de leur part ?
— Au départ, l’Église d’Alexandrie s’est montrée très agressive envers ceux qui sont passés à l’Église russe. On nous a repris nos ornements liturgiques, les enfants ont été chassés de leurs écoles, il leur a fallu rester à la maison. Cela a fortement affecté leur instruction, car de nombreux parents comptaient sur les bourses de l’Église. Mais à présent, à mon avis, l’Église d’Alexandrie commence à prendre conscience qu’en se vengeant sur nous, ils n’obtiendront pas la victoire : ce sont nous qui sommes vainqueurs, dans ces conditions.